Résumé:
Maintenir sa production agricole dans un contexte de changement global connu pour
faciliter les invasions biologiques et les crises sanitaires supplémentaires qui y sont
associées est un véritable challenge. L’agriculture mondiale se trouve de plus en
plus confrontée à des bio-agresseurs « exotiques », parmi lesquels les insectes
figurent en bonne place. La gestion durable de ces espèces nécessite une bonne
connaissance des populations présentes et de leurs niveaux d’infestations, et
requière une mise en œuvre de méthodes de lutte efficaces et soucieuses de
l’environnement. Dans ce contexte de gestion, les composés volatils des plantes
intervenant dans les interactions plante-insecte phytophage peuvent jouer un rôle
non négligeable.
Depuis 2008, en Algérie, les cultures de la famille des Solanacées voient leur
production régulièrement impactée par la mineuse Sud-Américaine de la tomate,
Tuta absoluta (Lepidoptera, Gelechiidae), une espèce à fort pouvoir invasif et de
dégâts. Dans ce cadre, après validation par approche intégrative (ie. critères
morphologiques diagnostiques et marqueur moléculaire de type Barcode) de
l’appartenance des spécimens étudiés à l’espèce T. absoluta, notre travail a visé à 1)
déterminer l’influence des variations thermiques sur la dynamique des populations de
T. absoluta et des infestations inhérentes, durant deux campagnes agricoles, sur
trois Solanacées économiquement importantes (la tomate, l’aubergine et la pomme
de terre) cultivées en serre ou plein champ, 2) analyser les composés libérés par les
feuilles de ces trois plantes-hôtes lorsqu’elles sont attaquées ou non par des
chenilles de T. absoluta pour un « criblage » de molécules potentiellement bioactives
contre le phytophage. Ainsi, la combinaison des deux critères d’identification
utilisés, à savoir les pièces des Genitalia mâles et un fragment d’ADN mitochondrial,
ont validé l’identification spécifique faite de visu sur le terrain assignant les
spécimens étudiés à l’espèce T. absoluta. Les dénombrements des larves sur le
feuillage des plantes-hôtes et la capture par piégeage des adultes mâles ont montré
que la dynamique d’abondance des diverses formes biologiques et des populations
globales de T. absoluta ainsi que les infestations engendrées sont plus importantes
et précoces sur tomate que sur pomme de terre puis aubergine. Les paramètres
mesurés sont aussi significativement influencés par les variations thermiques
maximales et la plante-hôte considérée. La reproductibilité, en 2015 et 2016, de la
période d’installation primaire des divers stades de T. absoluta dans chaque culture
et de la dynamique générale des populations permettent donc de connaître la
période adéquate pour surveiller les cultures et intervenir.
L’extraction des composés chimiques de feuilles saines et attaquées réalisée au
moyen de cinq méthodes complémentaires (fluide supercritique, solvant,
enzymatique, ultrason et dérivation) et l’analyse consécutive par Chromatographie
Gazeuse associée à la Spectrométrie de Masse (GC/MS) a permis l’identification
d’un large spectre de composés issus de plusieurs familles chimiques. Au total 272
composés chimiques (111 chez la tomate, 79 chez la pomme de terre, 82 chez
l’aubergine) ont été identifiés et leur importance relative au sein du mélange de
composés identifiés a été calculée. Ainsi, la diversité et l’importance relative des
composés émis par les feuilles s’avèrent dépendre de la plante-hôte et de son état
sanitaire (sain versus attaqué par T. absoluta). La présence et/ou les variations de
taux de certains composés et familles chimiques, déjà connus pour leurs rôles
majeurs dans les interactions plantes-insectes, par exemple des terpènes (?-
Cymene, de D-Limonene et de Caryophyllene) sont significativement corrélés à
l’existence d’attaques du phytophage sur les feuilles. L’ensemble des résultats
obtenus sur la 1) dynamique temporelle des populations larvaires et d’adultes de T.
absoluta et 2) la nature et l’importance relative des composés chimiques émis par
ses trois plantes-hôtes avant et après attaques de T. absoluta, constituent des pré-
requis indispensables dans la compréhension des interactions Solanacées-T.
absoluta et la gestion intégrée durable de ce ravageur invasif majeur des cultures